Prologue

La cave est humide, le goutte à goutte ne vient pourtant pas du suintement des murs, ni des écoulements du plafond. Dans une fiole argentée se masse un liquide scintillant : suivant une tuyauterie complexe, des alambics se relaient pour l’amener depuis le crâne d’un vieil homme sur lequel on a ajusté et fixé un casque métallique. Des rouages se déclenchent à intervalles irréguliers. Des couinements et raclements sont perceptibles. Une bête va et vient entre le casque et la première fiole, faisant tressauter l’homme.

Une lanterne posée sur une grande table éclaire différents papiers, un ensemble d’écuelles et de broyeurs, un bric-à-brac poussiéreux d’où l’on distingue des bouts de chaînes, des couteaux, pinces et broches luisantes, des pots emplis de matières à l’aspect visqueux… et le vieillard enchaîné à un fauteuil.

- Tu peux me tourner autour, tu peux puiser tant que tu veux, ma source se tarira sans que tu apprennes ce pourquoi tu es venu m’arracher à mes livres.

- Vieux fou, tu arrives à entendre et reconnaître mon pas alors que mon mange-gris te savoure?

L’ombre se dégagea du mur pour venir caresser l’alambic principal.

Le prisonnier ne pu retenir un frisson.

- Je veux savoir qui est le prochain Elu, et connaître le moment où il doit rejoindre le Domaine…

Un éclat de rire lui répondit, nerveux, dément, emplissant à mesure l’espace, de plus en plus aigu, à la limite du supportable. Il recula sans s’en rendre compte, les mains en protection sur ses oreilles. Furieux d’avoir fait preuve de couardise, il revint se planter devant le vieil homme.Entre deux respirations sifflantes, il releva le velours de ses manches jusqu’aux coudes, et posa ses griffes sur le cou du supplicié.

- Ne me fait pas perdre patiente !

- Et si tu perds patiente, quoi ? Tu m’étoufferas, et je serais libre. D’ailleurs, regarde: ta fiole est bientôt remplie, ton mange-gris n’a pas l’air plus savant, et pourtant, je connais tout ce qu’il y a à savoir sur…

- Foin de tes balivernes !

- Tu voulais que je parle… Tu ne sais pas ce que tu veux…

- Tu es à bout de force, ce n’est plus qu’une question de temps. Fyls te digère, tu ne seras bientôt plus qu’un homme sans nom.

La main se resserra un peu plus, empêchant le vieillard de le railler encore.

Les yeux du prisonnier se rétrécirent, laissant filtrer un éclat de malice.L’ombre relâcha son étreinte. Un instant, le casque tangua sur les cheveux gris, la peau de l’homme se racornissant à vu d’œil.

- Qu’est-ce donc que cette fourberie ?

Le casque tomba à terre dans un bruit sourd, tandis que le vieux corps décharné se ratatina, se dessécha, les entraves trop lâche et désormais inutiles pendouillant sur les restes de l’homme et les bras du fauteuil.

- Fyls ! Aux pieds !

Deux yeux rouges sortirent du tuyau principal pour venir piailler devant l’ombre.

Sous les cheveux du bonhomme réduit, des larves se mirent à grouiller et grossir en un clin d’œil, et des dizaines de mouches ainsi formées s’en extirpèrent, venant lui couvrir le visage.

Il ne pu que reculer d’un pas, frottant ses yeux pour en chasser les insectes, et se débattant cassa la lanterne dont l’essence enflamma les quelques papiers épars.

Dans un dernier embrasement, les yeux bondirent dans son pourpoint. Il étouffa un juron en voyant s’envoler les dernières bestioles vers l’entrée de la pièce.

- Fyls ? Qui est le prochain Elu ?

Un museau dépassa de sa poche, humant l’air frénétiquement.

- Fyls…

- Je n’ai pas pu l’apprendre, Maître…

Les griffes attrapèrent doucement le mange-gris pour le placer devant les yeux de l’ombre, qui chuchota dans un souffle :

- Tu vas faire quelque chose d’utile, Fyls. Ce que tu veux. Ce que tu peux. De la façon qu’il te plaira.

Et lançant le rongeur de toutes ses forces sur la porte :

- Mais ne revient pas ici avant de pouvoir prétendre m’être vraiment utile !

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