chapitre 1,3 : verditude

- Et toi, comment tu es arrivé ici ?

- Comme toi…

- …Ah.

Buissons épineux, chênes, mousse apaisant les pieds…

- On va marcher encore longtemps ?

- Tu es fatiguée ?

- Non, je me renseigne.

- Une longue ou deux. Je voudrais qu’on rejoigne la maison de Nour, nous y serons plus à l’aise pour passer la nuit. Et elle aura certainement des étoffes pour toi.

- Nour ? Qui est-ce ?

- Une vieille amie. Elle a choisi de vivre dans la forêt, c’est une solitaire.

- Elle est bizarre, ta forêt.

- Elle s’appelle Ycelou, et ce n’est pas ma forêt. C’est celle du Domaine.

- Le Domaine ?

- Oui. Nous sommes chez lui.

- Je pensais que ce mot désignait un endroit…

- C’est le cas.

Au loin, un bruit de branche cassé stoppa leur marche, mais le jeune homme repris aussitôt son allure.

- Seal ?

- Oui ?

- Que fais-tu dans cette forêt ?

Quelques rochers jaillissaient du sol, que Seal commença d'escalader prestement. Elle avait du mal à le suivre, et pris sa main tendue avec reconnaissance.

- J’y cherche.

- Tu parles encore par énigme !

Juchés au faîte de l'excroissance grise, ils ne dominaient pourtant pas la forêt. Elle s'accroupit, lui tournant le dos.

- Puisque tu veux tout savoir, j’y cherche des choses à faire pour valider mon troisième niveau de Conservateur.

- Ce n’est pas beaucoup plus clair…

- Disons que je suis en stage. Je suis étudiant, je voudrais devenir un des Conservateurs du Domaine. Je dois donc en connaître les règles, et surtout apprendre à les utiliser au mieux.

- Encore le Domaine…

- Et toi ?

- Quoi, moi ?

- Pourquoi es-tu allée à Ycelou ?

- Je ne voulais pas rester sur la plage. J’avais faim, il n’y avait personne, mortel, quoi.

Faisant un tour d'horizon rapide, elle fini par planter son regard clair dans ses yeux. Il la dévisagea sans malice, puis entama la descente.

En grommelant, elle le suivit maladroitement. Monter, escalader, marcher, se retrouver à demi nue sur une terre inconnue… Cette journée ne semblait pas en finir de découverte et d'épreuves tout aussi ridicules et absurdes les unes que les autres.

Seal l'écoutait maugréer, cherchant le moyen de lui rendre la route plus agréable.

- Tiens, tu vois ces feuilles ?

- Elles ressemblent à toutes les autres. Cette satanée forêt est identique à elle-même de bout en bout.

- Tu te trompes, regardes mieux…Tu vois, là, à gauche ? Il y a un tout petit dessin…

- On dirait un vieux reste de toile d’araignée. Au fait, il n’y a pas d’animaux, ici ? Enfin, je veux dire, à part les chiens de l’enfer ?

- Oh que si ! Ils sont cachés, ils attendent la nuit pour sortir.

- Ah ?

- A cause des chasseurs.

- Ah.

- Cela ne t’intéresse absolument pas, mes histoires de dessin sur les feuilles…

Elle haussa les épaules.

- Si, Si…

Agacé, Seal accéléra le pas. Elle remarqua que ses pantalons ne fermaient pas sur les côtés, maintenus par des lanières plutôt lâches.

- Tout le monde est habillé comme toi ?

- Hein ?

- Je veux dire…Tu ressembles à un personnage de conte pour enfant…

- Si tu le dis. J’aime bien ma tenue, c’est pratique pour crapahuter. Et puis j’ai plein de poches.

- Et « c’est mode » ?

- Pardon ?

- T’es vraiment à la masse. C’est à la mode, tes fringues ?

- A la mode ? Là, c’est toi qui parle par énigme.

- Ben, la mode, c’est ce que les gens aiment, ce qu’on trouve dans les boutiques, « tendance », quoi.

- Dans nos boutiques, il y a peu de vêtements. Il faut acheter les tissus, et trouver une couturière, ou t’en occuper.

- Mince…

- Tu ne sais pas coudre ?

- Heu…Si, un peu.

- Nour te montrera comment faire. Elle est très habile.

- Merci bien…

- Qu’as-tu à râler de nouveau ?

- Rien n’est gratuit, ici, faut tout faire soi-même !

- Hé bien, oui… C’est normal, non ?

- Y’a rien de normal, dans ton monde! Vous n’avez pas de machine à coudre ?

- …Je ne pense pas. Comment est-ce conçu ?

- Mais j’en sais rien, tu la branches, tu mets ton tissus…Tu couds, quoi !

Comment pouvait-on ne pas connaitre cet instrument de la vie moderne, dans quel trou était-elle tombée?

- Il faudrait que tu en expliques le concept à Nour, une telle machine lui serait précieuse.

Evidemment, l'autre benêt trouvait ça formidable. Et concevable qu'elle puisse en fabriquer une. Comme si elle avait déjà, ne serais-ce qu'une fois, utilisé ce progrès technique!

- T’es incroyable, Seal.

- Merci.

Le pire, pensa-t-elle, c'est qu'il avait l'air sincère…

- Tu veux un peu d’eau ?

- Oui, s’il te plait.

Au moins, il était prévenant.

- Tiens, elle a un goût de citron.

- Tu vois, quand tu veux…

- Quand je veux quoi ?

- Côa, côa, côa…

- Quoi ?

- Si tu continues, tu vas te transformer en grenouille.

- …T’es pas drôle.

Réflexion faite, plutôt idiot.

- Tu es vexée ?

- Non, c’est bon.

- C’est encore loin ?

- Non, une centaine de pas.

- Comment fais-tu pour te repérer dans cette verditude ?

Seal ne pu se retenir de rire aux éclats, déclanchant entre les arbres un écho tonitruant.

- Pourquoi ris-tu ?

Elle était franchement comique, avec sa manie d' inventer de nouveaux mots…

- Tu utilises des mots bien étranges, Lua…J’ai essayé de te l’expliquer tout à l’heure : il suffit de regarder les symboles blancs sous les feuilles. Ainsi, le voyageur peut toujours savoir où il se situe par rapport aux quatre citées antiques, et diriger son pas en conséquence.

- Il y a beaucoup de ces dessins ?

- Tous les arbres en portent.

- Vache ! Qui les a dessiné ?

- Pour la plupart, ils sont inscrits par les végétaux, directement lorsque la feuille pousse. Chaque arbre indique la distance qui le sépare d’une de ces citées.

- Tu te moques encore de moi !

- Quand vas-tu comprendre…Je ne fais que répondre honnêtement à tes questions.

- Ne te fâche pas, Seal. C’est tellement nouveau, pour moi, tout ça…

Il eut un regard presque tendre en lui prenant la main.

- Allez, vient. Que nous arrivions avant le souper.

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