chapitre 2,1 Nour

La masure vermoulue leur apparut d’un coup dans le fond d’une clairière que réchauffait pleinement le soleil. De la fumée s’échappait en volutes par une multitude de trous dans le chaume du toit en bouffées colorées. Orange, vert, bleu, noir… Les petits nuages perdaient peu à peu leur éclat dans le ciel limpide. Un chat observait le phénomène, perché sur l’extrême bord d’un pommier dont les plus hautes branches se confondaient avec la maison.

Seal siffla très fort, deux fois, le chat sauta de son perchoir et vint à toute vitesse vers eux, se frottant contre ses jambes.

- Berlu !

Médusée par le manège des fumées, Lua laissait son regard dériver.

Seal avait attrapé et posé sur son dos le matou borgne.

- Nour doit être en train de préparer un boiseux. Nous arrivons au bon moment !

- Un boiseux ?

- Une grosse bête, c’est très bon rôti, avec des groseilles. Vient ! Je vais te présenter.

Seal pressa le pas, son ventre gargouillait déjà à l’idée de la bonne chaire cuite au tournebroche.

- Nour ! Regarde la méchante bête que j’ai trouvée devant chez toi !

Un éclat de rire lui répondit, la porte s’ouvrant d’un coup sur une mamie couverte de chiffons. Ses frusques s’envolèrent pour révéler d’autres guenilles tout aussi chatoyantes, et dessous des bras longs, fins, qui collèrent contre elle dans un tourbillon un Seal devenu tout petit et tout pâlot.

- Seal, comment traites-tu mon vieux matou… Tu as drôlement grandi ! Viens par là que je te regarde… Dis donc, que de beaux habits tu as là ! Et un nouveau couteau de chasse…

- Ma sœur a bien travaillé…

- Oui, je vois cela !

Nour faisait tourner le jeune homme, l’examinant sous tous les angles, puis satisfaite de son inspection, lui plaqua deux baisers sonores sur chaque joue. Lua lui trouva l’air vif, malgré la vieillesse de ses traits, appréhendant de subir le même sort : trop baveux à son goût.

- Et toi alors, quelle jolie demoiselle caches-tu sous ta vieille cape ?

- C’est Lua. Lua, voici Nour, ma gentille marraine dans ce Domaine. Nour, je te présente Lua. Elle connait une machine formidable qui remplacerait une couturière !

- Oh, encore tes farces ! Entre donc, jeune écervelé, j’ai du travail sur le feu. Et ta Lua a surement faim.

Elle ne pu se retenir, criant presque:

- -Je ne suis pas "sa" Lua !

- Pardon, mademoiselle !

Nour rit encore plus fort. Le chat sauta à terre, filant entre ses jupes, pour aller se jucher sur le haut d'une armoire.

Seal déposa son sac devant la table et s'affala sur un tabouret. Juste en face du rôti, pour mieux apprécier l'énorme gigot en cuisson.

- Ne reste pas plantée là, Lua. Viens t'asseoir. Je termine mes huiles, et nous mangerons.

Elle se choisit un tabouret proche de son compagnon, se rendant compte que l'odeur de la viande commençait à réveiller son estomac. Autour d'elle, la cabane – comment donner un autre nom à cette bâtisse de torchis ? – venait vraisemblablement d'un autre âge. Les ustensiles de cuisines : énormes piques, cuillères géantes, pendaient près de l'âtre. Un gigot digne de la table d'un ogre perdait sa graisse dans une marmite noire d'où s'échappait un fumet de bouillon. Quelques gouttes, dans l'ébullition, se perdaient sur les braises.Près de l'armoire, un lit recouvert de fourrure; derrière, une fenêtre translucide; et des étagères, des coffres, dans toute la pièce, regorgeant de bocaux; au plafond, suivant les poutres, des bêtes en salaisons et des bouquets séchant : on aurait dit l'antre d'une sorcière.

Les fumées colorées venaient d'un feu secondaire au coin gauche de l'âtre. Une minuscule casserole tenait comme par miracle en équilibre sur un bout de pierre chauffée à blanc par les flammes. Nour y jetait avec attention, régulièrement, des petits cailloux qu'elle sortait des poches enfouies sous ses habits.

- Puisque tu es nouvelle ici, il faut que je te raconte…

- Oh Nour, je les connais par cœur tes vieilles rengaines! Et cela t'attriste à chaque fois!

- Tu n'auras qu'à mettre la table et dépecer le boiseux, si mes histoires t'ennuient. Ecoute, Lua, comment j'ai rencontré et perdu mon amour, le plus bel et gentil homme de tout le domaine…

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