GTA (Grand Tourismo Aged)

Onze heure vingt-neuf.

L'horloge égrène le temps, ses vieilles aiguilles ouvragées tournant inlassablement derrière le cadran de bois. Dans le patio, la colonne de verdure profite du soleil qui entre à flot par l'immense verrière. L'architecte a bien pensé son ouvrage:les trois étages sont ainsi éclairés naturellement toute la journée. Les couloirs sont vides, la séance de gymnastique douce étant finie depuis une bonne demi-heure, et puis ce n'est pas le jour du dessin. Le médecin traîne encore dans le bureau, classant des feuilles d'analyses.

Onze heure trente.

Alice entrouvre doucement la porte de sa chambre, elle est au milieu du couloir, si elle arrive à ne pas faire grincer son déambulateur, elle a peut-être une chance…

Bernadette, assoupie au deuxième dans le grand fauteuil, près de l'ascenseur, baille sans bruit. Prête à bondir au bon moment.

Rodrigue n'en peu plus:il a enfin réussi à enfiler son gilet et à décoincer le frein gauche, car malgré l'huile il est souvent grippé. Il pousse sa porte, manoeuvrant sa chaise avec brio:aujourd'hui, il ne l'a pas faite claquer, il a donc encore toutes ses chances.

Donatienne déambule, sans but, inconsciente du drame qui se joue à l'étage supérieur. Elle ne sait pas trop ce qu'elle fait ici, sa mémoire en déroute la fait errer de chambre en chambre, jusqu'à cette drôle de porte brillante. Elle appuis sur un bouton fort joli, brillant et vert, mettant en branle une machinerie bruyante.

Et c'est la panique.

Devant sa télé éteinte, Eloise n'avait pourtant remarqué aucun pas, aucune canne, et l'ascenseur se met en branle?

François se jette sur son sac, essayant d'en sortir son paquet de mouchoir, élément indispensable à sa survie au rez-de-chaussée. Puis tente d'enfiler ses chaussons sans heurter ses cors, atteignant sa porte au moment même où Alice arrive. Cette pimbêche a manœuvré si doucement aujourd'hui qu'il n'a pas eu le temps de se préparer. Tant pis pour les mouchoirs, il est temps.

Onze heure trente et une.

Bernadette, parfaitement réveillée maintenant, entend l'ascenseur s'arrêter au premier. Etouffant une insanité, elle se redresse, met en route ses chevilles, ses genoux, ses cuisses, ses abdos rouillés, prenant appuis sur ses mains elle se retrouve debout, face à Rodrigue qui galère avec le dernier tournant. Elle va devoir l'accepter dans la cabine. Chienne de journée.

Georgette, remarquant l'agitation soudaine, espère ne pas avoir trop tardé. Un coup d'œil à l'horloge:c'est bon, elle va l'avoir…Elle se hisse sur son cadre de marche, y jetant sa trousse de couture, pourvu que rien ne tombe…

Onze heure trente deux.

L'ascenseur s'ouvre devant Donatienne, qui hésite. Un grand miroir la reflète au fond de la cabine. C'est joli.

Herbert perçoit l'agitation soudaine et se jette sur la sonnette, déclanchant dans les salles de soins des deux étages un "son et couleur" qui fait sursauter le médecin. D'autres entendent la mélodie, et, faisant de même, mettent en branle et la symphonie chamarée, et les aides soignantes qui sortent une à une des chambres pour constater l'étendue des appels:monstrueux.

Bernadette s'acharne sur le bouton de l'ascenseur:avec un peu de chance, il viendra à son étage en premier.

Onze heure trente-trois.

De partout maintenant, arrivent des hommes et des femmes, pressés, claudiquant, maudissant contre leurs articulations qui ne leur permettent plus d'envisager cette course sous un jour favorable.

Donatienne hésite encore, à cheval sur l'étage et la cabine, bloquant ainsi tout le monde. Alice la double et s'effondre au fond contre le miroir. François tente d'engager son fauteuil, mais Donatienne ne comprend pas sa manœuvre et lui tend la main:

"Bonjour, Monsieur…?"

François peste, et dans un éclair de génie, répond à son salut, attrapant sa main pour la tirer de côté, puis passe et se cale près d'Alice, qui appuis déjà sur "rc". La porte se ferme doucement, poussant Donatienne vers eux, et la cabine descend.

Onze heure trente quatre.

Victorieusement, et de concert, Alice et François franchissent le seuil de la salle à manger. La petite Julie est encore en train de déposer les couverts. Ils vont pouvoir choisir leur place. La même que d'habitude…Mais les premiers!

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