Jacob

Jacob aime beaucoup l'automne : la cours se remplit de feuilles, alors, en plus de mettre la table et de balayer la grande salle, il peut aller chercher l'immense râteau rouillé et passer de longues après-midi à les ramasser. Il fait des tas, de plus en plus gros. Quand ils sont hauts, il va trouver Denis, qui lui ouvre la remise pour lui remettre la brouette, son deuxième ustensile de prédilection.

Jacob aime beaucoup rendre service. La directrice lui en est grée, et lui donne alors toutes les semaines un peu d'argent pour ses boissons et ses chocolats. Les autres pensionnaires n'ont pas le droit de faire tout ce qu'il fait : c'est sa fierté, son honneur. Il aide, lui.

Avant, il aidait sa maman, au jardin, à la vaisselle, au linge, aux courses. Mais ici, les courses arrivent dans de grands camions, et la vaisselle est faite par une grosse machine rutilante. C'est Madame Marguerite qui s'occupe du linge, dans les greniers, et Jacob n'a pas le droit de monter dans les combles. La directrice a dit que ce n'était pas aux normes pour lui. C'est dommage, il a toujours su très bien plier les draps, et rouler les chaussettes. Maman lui disait qu'il était le meilleur pour ça, elle lui avait même offert un diplôme du "parfait fils chéri", qu'il a accroché dans sa nouvelle chambre. C'est beau, avec des paillettes tout autour. Il n'arrive pas à lire tous les mots dessus, mais sa maman lui a tellement de fois répété les inscriptions qu'il les connait sur le bout des doigts.

Tous les matins, il amène un café dans un verre en plastique à la poubelle devant le lilas : c'est là que maman s'est endormie. La directrice lui a déjà dit que cela ne la réveillerait plus, et qu'elle ne pouvait plus boire de café, enterrée dans le cimetière voisin. Jacob ne sait pas trop ce que c'est que ce cimetière, ça doit être comme un grand dortoir, son papa et son papi et sa mamie y sont aussi. Alors ce n'est pas grave, il verse le liquide brûlant au pied de l'arbre, puis va prendre son petit déjeuner. Heureusement que a directrice a bien voulu le garder, parce que cousin Jacques ne voulait pas le prendre chez lui, il ne s'entend pas bien avec les petits enfants. Et puis, il a peur de leur gros chien noir

Aujourd'hui, les filles vont laver la baie vitrée qui fait le tour de la promenade intérieure, alors il s'installe sur le banc près des rosiers pour les encourager. Il leur chante des chansons, les deux seules qu'il connaisse par cœur : "Le chevalier du guet" et "Auprès de ma blonde". Maman les fredonnait le soir pour qu'il s'endorme. Maintenant que maman dort tout le temps, le docteur lui donne un cachet, il s'endort plus vite qu'avec les chansons. Elles accrochent des guirlandes et des lampions, c'est joli.

C'est que demain, ça sera la grande fête de la Maison de retraite, et en plus, il va recevoir son cadeau d'anniversaire pour ses quarante-deux ans. L'an dernier, c'était un savon et une eau de Cologne assortis que Monsieur le maire lui a remis, et un très gros bouquet de la directrice.

Jacob aime beaucoup le bon parfum, il espère en avoir encore, sa bouteille est presque vide.

Peut-être.

Mais il n'y a pas de raison : Monsieur le Maire est attentif, il sait ce qu'il faut à un homme comme Jacob.

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