Louison

Il faut d'abord traverser un coin de forêt, quitter la route goudronnée pour emprunter un chemin de terre où une voiture peut à peine passer;ensuite, franchir un pont de bois qui enjambe une petite ravine, contourner le rocher. Sous le saule, un vieux puit tombe en ruine. C'est ici que dort le chien, au frais et à l'ombre. La porte d'entrée ne jointe plus. Il faut en fermer le volet à la nuitée, on ne sait jamais, car maintenant Filou dort à l'intérieur.

Dans l'unique pièce immense, personne n'a voulu déplacer la table qui semble ancrée dans le sol de terre battue. Le four à bois ronronne en permanence, la fille aînée approvisionne comme il faut la réserve tous les soirs, avant d'aller se coucher en haut.

La reine-mère a sa chambre en bas, juste à gauche lorsqu'on rentre. Il faut monter une marche, et ne pas avoir peur de l'odeur. C'est que l'on n'ouvre plus la fenêtre depuis que le père est mort. L'engoulevent n'est pas venu chercher son souffle, faudrait pas que ça rentre et emporte la mère. De ses neufs enfants, ne reste que la Louison, brave fille, qui a enterré son mari et son fils d'un accident de charrette du côté d'Argentat, elle avait à peine quarante-trois ans. Alors elle est retournée chez sa mère pour l'aider à ses travaux. Le jardin, la maison, le cochon pour la truffe et les poulets pour le marché, ça faisait trop à la mère depuis son deuil.

Les autres, ils sont morts à la queue-leu-leu, les petits et arrières petits enfants ne viennent plus. C'est trop loin de la ville. Le confort est modeste. Elles sont gentilles, mais ne parlent pas le français, le patois traduit mieux leur vécu. Au pays, on ne bavasse pas comme des pies, on dit les choses, c'est tout.

Cinq fois par semaine, Filou aboie de toutes ses forces, il est bien dressé, il n'aime pas les étrangers.

Il gueule au facteur, lundi et jeudi, pourtant l'homme en bleu lui dit bonjour à chaque fois et le flatte; il gueule aux poubelles le mercredi, mais c'est parce que le préposé doit traverser à pied tout le jardin pour récupérer les restes dans la bassine en fer à côté du tas de terreau.

Les mardi et vendredi, c'est comme un cri de mort: c'est la voiture des dames en blanc. La femme qui en sort vient faire hurler sa maîtresse. Déjà, elle entre dans la maison, alors que les autres intrus n'approchent pas le seuil. Elle va dans la pièce interdite, remuant les odeurs, sortant les draps, et les mets dans cette drôle de machine que Louison ne met en marche que lorsque la mère promène le cochon sur le causse. Et puis, l'horreur commence, la mère psalmodie des cantiques, poussée et portée lentement par la dame jusqu'au trou de l'enfer. Le diable vit dedans, il émet des gargouillis à travers une minuscule grille ronde. La mère veut pas aller près du trou, Louison non plus, mais elle, elle sait que ce n'est pas le cornu. Simplement l'écoulement de l'eau.

Diablerie aussi, ce tuyau par lequel coule une eau chaude comme si on venait de la bouillir sur les fourneaux, il n'y a même pas besoin d'actionner le puit, c'est pas dans la bible, c'est pas un miracle puisque Notre Seigneur Jésus est mort et vit à la droite de Dieu. Une fois les habits ôtés, la dame actionne un mécanisme brillant, et les hurlements fusent. "Satanas! Satanas, vade retro Satanas! Agnus dei et spiritus sancti miserere nobis ! Salva me Domine vigilentes ! Ohhhh Ohhh ja es acabat so mort, fo fred, fo fred ! Saaaaaaaaalva meeeeeeeee!"

Les petits enfants leur avait offert une douche, à Noël dernier, et depuis, les dames en blanc ouvraient au grand cornu une porte secrète dans la maison.

Mais dès que la mère serait morte, Louison ne s'embarrasserait plus du cérémonial du trou au diable et des aides de la mairie…Dans trois jours, elle allait cuire la fougasse au lard pour les 98 ans de la mère, et deux mois après, celle pour ses 80. Personne ne la forcerait à entrer là-dedans! Bien que le diable n'y ai pas son logis, elle ne comptait pas risquer la mort de se mettre entièrement nue pour se laver.

Filou n'aurait plus à gueuler que trois jours dans la semaine, c'était bien assez pour que les poules ne soient pas retournées.
Ces bêtes ne pondent que dans le calme.


Faut pas leur changer leurs habitudes.

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