Monsieur Charles

Monsieur Charles est content d'être ici. La chambre est spacieuse, le lit est dur comme il faut, en plus ils ont eu la gentillesse de lui faire mettre des draps qui lui rappellent sa maison de campagne : c'est le même tissus lourd, avec un motif forestier brodé sur le rabat. Ses affaires ont toutes été livrées et rangées, légers pour l'été (il y a un très beau soleil en ce moment), et ses manteaux feutrés, et ses bottes fourrées. Vraiment aimable, bien qu'il ne pense pas avoir retenu la chambre autant de temps, pour un jour avoir besoin de ses vêtements d'hiver.

Le petit salon est fort joli, avec cette toile de Matisse sur le mur du fond.

Les horaires sont assez stricts. Une fille de salle interrompt toujours le fil de ses méditations pour l'entraîner, presque de force, dans la salle à manger, chaleureuse mais bruyante. Il n'a pas faim, il a sûrement déjà mangé. Mais apparemment, ici, il faut goûter aux petits plats du chef pour ne pas le vexer, même si on a casse-croûté avant.

Monsieur Charles n'est pas loquace, il s'en excuse auprès de la dame qui partage sa table. Elle doit être de nature timide, car elle ne répond pas, et picore dans son assiette sans plus de conviction que lui.

Après le repas, Monsieur Charles aime se promener. Gentiment, une hôtesse l'accompagne dans le jardin. Il y a une bête poilue et grise qui dort sous la lavande, qui l'intrigue beaucoup. Aujourd'hui, la bestiole ouvre les yeux et vient se frotter contre ses jambes en miaulant. C'est une grande surprise et une grande joie pour Monsieur Charles, qui tend la main maladroitement, se reculant effrayé lorsque ses doigts entrent en contact avec le poil soyeux. Son hôtesse l'installe alors de nouveau dans le petit salon, où Monsieur Charles s'endort entre deux pensées fugaces.

A son réveil, le soleil qui brille encore chaudement l'invite à la ballade. Se tenant aux meubles et aux murs, il contourne les pensionnaires nonchalants, et laisse ses pas le guider. De pièces en pièces, de couloirs en escaliers dangereux, le voici bientôt marchant sur du macadam. Des engins tonitruants le frôlent, des passants pressés le doublent. Cette ville est somptueuse en été, il se réprimanderait presque de ne l'avoir jamais visitée.

Un banc l'accueille près d'un arbre centenaire, des écoliers s'attardent à ses côtés, puis disparaissent dans une grande machine chromée qui démarre en klaxonnant. Ce bruit l'épuise. Il aimerait bien retrouver son lit. Et sa femme, qui doit s'inquiéter de ne pas le voir rentrer à l'heure pour le café. Il regarde son bras, et n'y trouvant pas de montre, gratte les plaques brunes, pensant ainsi faire apparaître l'objet espéré. Une sensation de mal-être le saisi, alors qu'il sent une coulée chaude envahir la main grattée.

- Monsieur Charles? C'est la gendarmerie. Vous êtes encore parti vous promenez sans l'aide-soignante. Monsieur Charles? On va vous ramener chez vous, à la maison de retraite.

- Et ma femme?

- Vous verrez sur place, Monsieur Charles. Allez, venez, ça va être l'heure du souper.

Cahin-caha, Monsieur Charles et son escorte font demi-tour. L'ascenseur leur évite les quelques marches fatigantes.

Le petit salon est fort joli, avec cette toile de Matisse sur le mur du fond.

- Oh, Monsieur Charles, j'ai eu si peur pour vous! Vous ne devez pas quitter le salon sans nous prévenir, c'est dangereux, vous avez tellement de mal à marcher…Tiens, vous vous êtes coupé. Allons dans votre chambre, on va changer les habits tâchés et je vais vous faire un pansement.

La chambre est spacieuse, se dit Monsieur Charles, qui s'assoit sur le lit. Et dure comme il faut cette literie. En plus ils ont eu la gentillesse de lui faire mettre des draps qui lui rappellent sa maison de campagne : c'est le même tissus lourd, avec un motif forestier brodé sur le rabat.

L'hôtesse est vraiment sympathique de faire office d'infirmière, on ne trouve pas cela dans tous les hôtels. Dommage que sa femme n'ai pas voulu l'accompagner ici, elle aurait aimé le décors, et ce tapis qui ressemble tellement à celui qu'ils avaient dans le salon.

N'ont-ils plus de salon? C'est vrai qu'à sa mort, il a fallu vendre, il n'aurait pas pu continuer d'entretenir une telle maison tout seul.

Le souvenir de son deuil le fait soupirer.

- Allons Monsieur Charles, ce n'est rien, cette griffure. C'est juste qu'avec vos médicaments, vous saignez plus facilement, il faut faire attention. Venez avec moi, le repas doit être servi.

Monsieur Charles n'a pas faim, il a certainement déjà mangé.

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